Un bilan de la loi Sapin II : quels sont les défis dans la mise en pratique pour les entreprises françaises ?

Notre septième déjeuner-débat à Paris portait sur les défis relatifs à la mise en pratique de la loi Sapin II pour les entreprises.

La loi Sapin II représente une véritable révolution et constitue, à l’heure actuelle, l’un des modèles les plus intéressants au niveau européen, voire mondial. Il existe donc des défis pour l’ensemble des acteurs concernés, y compris pour les autorités françaises, qui doivent définir leurs rôles respectifs.

Le large périmètre de l’Agence française anticorruption (AFA), qui intègre un rôle de conseil, de contrôle et de monitorat, le distingue d’un grand nombre d’autres agences impliquées dans la prévention et la détection de la corruption. Néanmoins, certains aspects de son fonctionnement restent encore à définir. L’introduction de nouveaux outils juridiques tels que la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), constitue également une opportunité, mais aussi un défi, pour les entreprises et les autorités. Enfin, les impacts relatifs à l’auto-dénonciation de la part des entreprises auprès des autorités françaises doivent encore être précisés.

L’ensemble des participants au débat estime qu’il existe donc encore un certain nombre de défis majeurs dans la mise en œuvre de la loi Sapin II. Tout d’abord, les entreprises font parfois face à de potentielles contradictions entre différentes exigences règlementaires. C’est par exemple le cas entre la loi Sapin II et le règlement européen sur la protection des données ou la directive européenne sur le secret des affaires.

Par ailleurs, une coopération renforcée entre les différentes agences impliquées dans la lutte contre la corruption permettrait aux entreprises de limiter la multiplication de potentielles poursuites judiciaires. Certains participants estiment que la loi Sapin II va certainement contribuer à faciliter la coopération entre les autorités françaises et d’autres autorités étrangères, à la condition que ces dernières estiment que les standards mis en place en France sont suffisants. Certains pays tels que les Etats-Unis semblent avoir émis des réserves à ce sujet dans le passé. Cependant, la dernière CJIP signée par une grande entreprise française du secteur bancaire semble désormais montrer la volonté de coopération entre les autorités françaises et les autorités américaines.

La faible harmonisation des standards au niveau international représente une autre difficulté dans la mise en œuvre des programmes de conformité anti-corruption par les entreprises. La multiplication de ces standards peut en effet avoir un impact sur l’efficacité des programmes de conformité et alourdir le processus de mise en œuvre pour les grands groupes internationaux. Par exemple, les recommandations publiées par l’AFA sont très détaillées. Or, ce n’est pas toujours le cas pour les lignes directrices d’autres pays, qui sont parfois moins précises et qui peuvent être difficiles à interpréter en l’absence de jurisprudence. Les participants espèrent que l’évolution de la France dans le domaine de la lutte anti-corruption incitera d’autres pays à adopter une démarche similaire. L’OCDE, dont le rôle est d’accompagner et d’évaluer les pays dans le domaine de la lutte contre la corruption, travaille actuellement sur une étude concernant les différents modèles de « règlement » (settlement ou pre-trial resolution) et des attentes relatives aux auto-dénonciations et à la coopération de la part des entreprises.

Les participants ont également souligné que les évolutions règlementaires se sont généralement focalisées sur la pénalisation de l’offre de corruption. Dans le domaine de la lutte contre la corruption, le rôle des entreprises est central. Néanmoins, une vision complète du problème nécessiterait de s’intéresser à la corruption passive et aux tentatives d’extorsion auxquelles les entreprises font parfois face. Or cet aspect est rarement pris en compte. En réponse à ces inquiétudes, une étude concernant la corruption passive est actuellement menée par l’OCDE et sera publiée le 11 décembre 2018 lors de la consultation du Groupe de travail sur la corruption avec le secteur privé. Des mécanismes de reporting à disposition des entreprises en cas de tentative d’extorsion, les High-Level Reporting Mechanisms, sont également testés par certains pays. Ils sont actuellement en place en Colombie et en Ukraine.

La question des ressources humaines et financières associées au déploiement des programmes de conformité anti-corruption est un défi pour certaines entreprises, notamment pour celles de petite et moyenne taille. Il convient alors d’adopter une approche pragmatique, en identifiant ce qui peut être facilement mis en place dans un premier temps. Certaines entreprises qui disposaient déjà de programmes de conformité anti-corruption relatifs aux attentes américaines ou britanniques ont également parfois sous-estimés le besoin d’ajustement de ces programmes pour se conformer à la règlementation française.

Pour déployer le programme au niveau international, certains départements en charge de la conformité s’appuient sur les différentes fonctions de l’entreprise (achats pour l’évaluation des tiers, contrôle interne pour la cartographie des risques, ressources humaines pour la formation, audit interne pour l’évaluation, etc.). La plupart des groupes ont également créé des réseaux de correspondants locaux. La question de leur positionnement hiérarchique et fonctionnel, ainsi que celle des moyens qui leur sont donnés pour mener à bien leur mission, sont parfois complexes. Ainsi, le rôle de ces correspondants varie. Lorsqu’ils bénéficient des ressources adéquates, ils peuvent être en charge de la mise en application du programme au niveau local, de la gestion de potentiels signalements et de la vérification de la cohérence de la cartographie des risques dans leur périmètre.

Les participants soulignent par ailleurs que la question de la culture est souvent sous-estimée dans la mise en place d’un programme de conformité anti-corruption. L’appropriation des nouvelles politiques et procédures peut constituer un défi important pour les entreprises, notamment lorsqu’elles opèrent dans différents pays. Les entreprises décentralisées et ayant peu de processus centralisés font face à des défis supplémentaires. Ces difficultés peuvent être observées notamment dans la réalisation de la cartographie des risques ou lors de la mise en place du système d’alerte interne. Le dispositif peut-être plus ou moins bien compris, en fonction de la culture locale. Un effort de communication sur l’objectif et le fonctionnement des politiques et des systèmes est alors nécessaire.

Enfin, la question de l’évaluation des programmes de conformité anti-corruption est également soulevée par les participants. Le choix des indicateurs utilisés pour évaluer le programme est complexe car il faut trouver des indicateurs quantifiables et pertinents au sein de différentes zones géographiques et dans la durée. Néanmoins, plusieurs participants ont souligné que l’évaluation du programme de conformité anti-corruption, qui peut se faire à travers la mise en place des trois lignes de défense traditionnelles, peut également être une opportunité pour faire vivre le sujet de la prévention de la corruption au sein des organisations. Le processus d’évaluer, plutôt que de se limiter à un exercice durant lequel le responsable conformité « coche les cases », peut alors permettre de sensibiliser au sujet. Par ailleurs, certaines entreprises mettent en place des outils de mesure (tels que des sondages internes) pour évaluer le niveau de maturité du personnel sur ces questions.

Le point de vue de GoodCorporation :

Plus d’un an après l’entrée en vigueur de la loi Sapin II, le rôle des différents acteurs, ainsi que les attentes envers les entreprises, semblent se préciser. Néanmoins, un certain nombre de défis internes ou externes aux organisations demeurent.

Notre expérience nous montre qu’un programme de conformité anti-corruption efficace doit être adapté aux activités, aux risques et à la culture de l’entreprise. Au-delà de la mise en place de politiques et de procédures, cette démarche nécessite un fort engagement de la part de l’instance dirigeante ainsi qu’un véritable effort de sensibilisation auprès de l’ensemble du personnel afin d’accompagner ce changement culturel.

Cependant, la mise en place des différents piliers de ce programme peut être complexe pour des entreprises de moyenne taille, internationales, décentralisées, travaillant avec de nombreux tiers et/ou opérant dans des zones à risque. Le Référentiel Anti-Corruption de GoodCorporation comprend des recommandations concrètes pour aider les entreprises à répondre aux exigences des principales lois anti-corruption, y compris celles de la loi Sapin II, et à mettre en place les meilleures pratiques dans le domaine de la détection et de la prévention de la corruption.