Le rôle des entreprises pour garantir le droit à un environnement sûr et durable
Le 8 octobre dernier, à moins d’un mois de l’ouverture de la COP26 (Conférence des Parties sur le climat) à Glasgow, le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies a reconnu l’existence du droit humain à un environnement sûr, propre, sain et durable. Le texte, proposé par le Costa Rica, le Maroc, les Maldives, la Slovénie et la Suisse, a été adopté par 43 voix favorables et 4 abstentions (de la Russie, la Chine, l’Inde et le Japon).
En quoi cette reconnaissance demandée depuis des années par différents acteurs est-elle importante et que signifie-t-elle pour les entreprises ?
Une campagne de longue haleine
La protection et la promotion des droits humains d’une part, et de l’environnement d’autre part, ont longtemps été traités de manière indépendante par les États, les entreprises et la société civile. Pour autant, depuis plusieurs décennies, des voix se sont élevées pour faire reconnaître le droit à un environnement sûr et durable comme droit humain. « Il a fallu littéralement des millions de personnes, et des années et des années de travail pour parvenir à cette résolution », a déclaré David Boyd, Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme et l’environnement.
Au niveau étatique, les Maldives appellent depuis plus d’une décennie à la reconnaissance de ce droit humain. De même que pour le Bangladesh, les îles qui composent ce pays sont en effet confrontées à la montée des eaux et menacées de disparition dès 2100. Au sein de la société civile, de nombreuses organisations se sont engagées, par exemple via l’initiative 1 Planet 1 Right. Par ailleurs en 2019, plusieurs enfants avaient déposé une plainte auprès du Comité des droits de l’enfant, organe des Nations unies. Ils accusaient ainsi leurs pays d’origine respectifs de ne pas faire suffisamment pour prévenir les conséquences du changement climatique sur les droits humains, et plus spécifiquement sur les droits de l’enfant des générations à venir[1].
La pandémie de Covid-19 semble avoir accéléré la prise de conscience des différents acteurs sur le sujet. Plus de 60 pays ont approuvé la déclaration faite en juillet 2020 par le groupe restreint sur les droits de l’homme et l’environnement du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, appelant les États membres à reconnaître le droit à un environnement sain.
Début octobre, la résolution relative au droit à un environnement sûr, propre, sain et durable en tant que droit humain, a été adoptée lors de la 48ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. En parallèle, via une deuxième résolution, les membres ont décidé de la création d’un mandat de Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques, pour trois ans. La demande avait été faite par plus de 200 organisations de la société civile dans une lettre ouverte, en amont de la 47ème session du Conseil des droits de l’homme.
Pourquoi droits humains et environnement sont-ils intrinsèquement liés ?
Dans un rapport de 2019, l’Organisation mondiale de la santé analyse que 23% des décès pourraient être évités au sein d’environnements plus sains[1]. Les impacts de l’activité humaine sur les écosystèmes, entraînant notamment un appauvrissement de la biodiversité et le développement de maladies, ont été constatés depuis longtemps. Par ailleurs, le changement climatique amplifie l’exposition des populations à des évènements climatiques extrêmes tels que des canicules ou des inondations, mais aussi à des phénomènes tels que la montée des eaux.
Ces évènements ont un impact direct sur les droits humains des populations affectées, en termes par exemple d’espérance de vie, d’accès aux soins et à l’eau ou encore de sécurité alimentaire. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), les conséquences du changement climatique pourraient entraîner le déplacement de 250 millions à un milliard de personnes d’ici 2050[2]. Ces réfugiés climatiques sont confrontés à des difficultés sociales et économiques et sont d’autant plus vulnérables aux risques d’exploitation et de trafic d’êtres humains.
Ainsi, de plus en plus, les attentes des populations pour la protection et la promotion des droits humains intègre la préservation de l’environnement et des lieux de vie. C’est ainsi qu’en 2020, au moins 227 défenseurs des droits humains, notamment des personnes issues des populations autochtones, ont été tués. 70% d’entre eux luttaient contre la déforestation, principalement en Amérique latine[3]. C’est aussi pourquoi la COP26, qui se tient à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre 2021, intègre dans ses quatre principaux objectifs l’adaptation des écosystèmes afin de protéger les communautés et les habitats naturels.
Les deux résolutions adoptées par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies viennent confirmer au plus haut niveau les liens intrinsèques existants entre la protection de l’environnement et le changement climatique d’une part, et les droits humains d’autre part. Elles renforcent également les Principes-cadres développés pendant le mandat de John H. Knox, prédécesseur de David Boyd en tant que Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme et l’environnement. Dès leur publication, ces seize principes-cadres avaient pour objectif de démontrer en quoi les questions environnementales s’intégraient d’ores et déjà aux enjeux relatifs aux droits humains.
Ce que ces résolutions signifient pour les entreprises
Les deux résolutions doivent être soumises à l’Assemblée générale des Nations unies pour qu’elle s’empare du sujet et propose, éventuellement, des résolutions similaires. Pour le moment, il s’agit de recommandations non contraignantes qui ne sont pas assorties d’effets juridiques obligatoires. Pour autant, les entreprises devraient prendre en compte ces résolutions dans le développement et l’adaptation de leurs programmes relatifs aux droits humains et à l’environnement.
Au Royaume-Uni, plusieurs organisations telles que Mondelez, Primark et Microsoft ont récemment appelé le gouvernement britannique à mettre en place une obligation légale pour les entreprises de procéder à des évaluations relatives au respect des droits humains et à la protection de l’environnement dans leurs chaînes d’approvisionnement[1]. Cette obligation existe déjà dans certains pays, notamment en France depuis l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance en 2017.
La reconnaissance par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable, réaffirme la nécessité d’intégrer les enjeux environnementaux dans les processus d’identification des risques et de prévention des atteintes relatifs aux droits humains. Il y a deux aspects à cela : d’une part l’impact environnemental des activités de l’organisation, comme les rejets dans les rivières ou la dégradation de l’habitat local, et d’autre part l’impact des activités de l’organisation qui contribuent au changement climatique, notamment leurs émissions de gaz à effet de serre. Les entreprises doivent intégrer ces deux dimensions au sein de leurs politiques et processus organisationnels.
En ce qui concerne la prise en compte des atteintes aux droits humains en lien avec le changement climatique, la première étape est celle de l’identification des risques par l’organisation et l’évaluation de ses potentiels impacts. L’approche adoptée devrait être holistique, c’est-à-dire qu’elle devrait prendre en compte ses impacts à la fois sur l’environnement (perte de biodiversité, évènements climatiques extrêmes, etc.) et sur les personnes (impact sur l’habitat ou l’agriculture vivrière, par exemple). Elle devrait en outre tenir compte des générations futures, qui seront en première ligne face aux conséquences du changement climatique.
Par ailleurs, les organisations ne devraient pas se fonder uniquement sur l’ampleur de leurs émissions de gaz à effet de serre, mais en priorité sur la sévérité de l’impact de ces émissions, à la fois par leur échelle et par leur caractère irrémédiable dans un environnement donné[2].
Une fois les risques identifiés et les impacts évalués, les organisations devraient établir un plan de mitigation des risques et de remédiation à court, moyen et long terme. Lorsqu’une entreprise ne peut mettre en place d’actions de mitigation acceptables, elle devrait réfléchir à des mesures plus radicales, par exemple refuser d’investir dans le projet concerné ou rompre une relation d’affaires[3].
La prise en compte du changement climatique dans les processus de due diligence est indispensable. Un nombre croissant de fonds d’investissement demandent d’ailleurs aux entreprises de rendre des comptes sur leur engagement relatif aux droits humains et à des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Les organisations doivent ainsi réaliser un suivi des actions mises en œuvre, afin de les adapter continuellement et au gré des nouvelles évaluations d’impact. Elles devraient également faire preuve de transparence et communiquer sur leurs actions et politiques auprès du grand public. Enfin, les mécanismes d’alerte mis en place par les entreprises devraient eux aussi intégrer les impacts environnementaux et ceux liés au changement climatique.
Vers un devoir de vigilance européen associant droits humains et environnement
La reconnaissance du droit humain à un environnement sûr, propre, sain et durable, marque une étape d’importance dans un contexte de développement des obligations légales relatives au respect, à la protection et à la promotion des droits humains.
Au niveau européen, le Conseil de l’Europe a récemment adopté une résolution afin de faire inscrire le droit à un environnement sain dans la Convention européenne des droits de l’homme. Cela renforcerait la capacité de la Cour européenne des droits de l’homme à statuer sur des atteintes aux droits humains dues à des problématiques environnementales.
En parallèle, la Commission européenne travaille actuellement sur une initiative pour un « devoir de vigilance européen » visant à renforcer le cadre réglementaire de l’Union européenne pour encourager les entreprises à mieux identifier et gérer les risques relatifs aux droits humains, au sein de leurs activités et tout au long de leur chaîne d’approvisionnement.
Ainsi, il est clair que les droits humains, en lien avec les problématiques environnementales, prennent une place croissante dans les débats internationaux mais aussi en termes d’attentes vis-à-vis des entreprises. La COP26 a conservé l’objectif de 2°C adopté en 2015 et invite les États à examiner plus avant les actions nécessaires pour tenir cet engagement. Il est probable que les entreprises devront de plus en plus tenir compte de leur impact environnemental sur les droits humains, tant en ce qui concerne le changement climatique que dans leurs opérations.