Compte-rendu – Petit-déjeuner débat GoodCorporation : Identifier les risques et impacts droits humains dans la chaîne de valeur

Comment identifier les risques et impacts droits humains le long de la chaîne de valeur ? C’est autour de cette question qu’ont pu échanger une dizaine de représentant·es d’entreprises issues de différents secteurs, le jeudi 19 octobre, lors du petit-déjeuner débat organisé par le bureau français de GoodCorporation.

Avec l’adoption imminente de la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (dite « CS3D »), qui s’inscrira dans la continuité de la loi française sur le devoir de vigilance, les entreprises françaises vont devoir mettre en place des pratiques plus ambitieuses concernant (i) la cartographie des risques que leurs activités font porter sur les personnes ainsi que (ii) l’évaluation de l’impact de leurs opérations sur les droits humains au sein de leur chaîne de valeur.

Ce petit-déjeuner débat fut ainsi l’occasion d’échanger sur les enjeux auxquels ces entreprises font face et de partager les méthodes et outils auxquels elles ont recours.

Caroline Le Mestre et Juliette Hérault, respectivement Directrice et Manager au bureau français de GoodCorporation, ont ouvert les discussions par une courte introduction, abordant notamment la nuance entre les notions de « chaîne d’approvisionnement » et « chaîne de valeur », une nouveauté introduite par le projet de directive CS3D qui constituera bientôt en enjeu majeur de la mise en conformité des entreprises.

La parole a ensuite été donnée à la dizaine de participant·es présent·es, pour échanger autour de deux grandes thématiques :

La cartographie des risques droits humains

La cartographie des risques droits humains se définit comme un « processus d’analyse des situations à risque de violation des droits humains dans une entreprise et/ou sa chaîne de valeur ». Elle est très souvent le point de départ d’une démarche de vigilance pour les entreprises et peut être un préalable au déploiement d’évaluations des pratiques au plan opérationnel. Les participant·es ont donc échangé sur les différentes méthodes qu’ils·elles utilisent pour identifier les risques liés aux droits humains au sein de leurs activités et dans leur chaîne de valeur.

Face aux exigences des diverses légalisations touchant au devoir de vigilance – notamment en ce qui concerne les risques santé, sécurité et environnement – certaines entreprises construisent leur cartographie à partir d’évaluations des risques déjà existantes, quand d’autres choisissent d’établir leur cartographie ex nihilo.

Les participant·es ont aussi insisté sur la spécificité du devoir de vigilance, qui requiert d’évaluer les risques sur les personnes, plutôt que les risques pour les activités commerciales de l’entreprise. Cela signifie que les entreprises doivent aller au-delà des simples considérations financières et juridiques pour évaluer les impacts potentiels de leurs activités sur la santé, la sécurité, la dignité et le bien-être des personnes, notamment leurs employés, les communautés locales et d’autres parties prenantes. Cette évolution reflète un changement vers une approche plus éthique de la gestion des risques.

Certaines entreprises ont déployé auprès de leurs différentes entités des questionnaires droits humains détaillés pour leur permettre de repérer les activités les plus à risque en matière de droits humains et alimenter ainsi une cartographie des risques globale. D’autres organisations ont choisi de travailler au plus proche du terrain, en menant des cartographies des risques ciblées auprès de plusieurs de leurs entités, en complément de la cartographie groupe. Celles-ci peuvent ainsi tenir compte de manière plus exhaustive des particularités géographiques et sectorielles propres à chaque entité.

En complément, des organisations ont aussi indiqué avoir mis en place des relais locaux ou régionaux qui, à travers leur remontée d’informations, contribuent à l’identification des risques droits humains tels que des « correspondant·es droits humains » ou encore des ateliers de travail regroupant plusieurs entités d’une même zone géographique ou d’une même branche de leurs opérations.

Les entreprises ont également échangé sur les difficultés rencontrées concernant l’identification des risques en amont de leur chaîne de valeur, car certaines travaillent avec des milliers de fournisseurs à travers le monde. De plus, les entreprises dont les modèles sont fortement décentralisés rencontrent souvent des difficultés accrues pour identifier les risques chez leurs fournisseurs par manque de visibilité sur les opérations et les relations d’affaires. C’est pour cela qu’il est important de soigneusement définir la méthodologie et le périmètre de la cartographie des risques en amont, en fonction des spécificités et de la maturité de l’organisation.

L’évaluation des pratiques des partenaires en matière de droits humains dans la chaîne de valeur

Les participant·es ont également échangé sur la manière dont ils·elles évaluent les impacts droits humains chez leurs partenaires commerciaux. L’évaluation d’impact droits humains se définit comme un « processus d’analyse et de mesure des conséquences négatives et positives d’une ou plusieurs activité(s) d’une entreprise sur les droits humains ».

Afin d’évaluer les pratiques, plusieurs entreprises présentes ont affirmé avoir mis en place un système d’évaluation et de certification RSE externe pour les fournisseurs. Celui-ci s’accompagne d’un plan d’action pour atténuer les impacts négatifs. Cette évaluation dite RSE peut aider les entreprises à évaluer la performance de leurs fournisseurs en matière de droits humains, en attribuant une « note » sur la base de différents critères notamment sociaux. Beaucoup des entreprises présentes ont confirmé utiliser ces notes pour identifier leurs fournisseurs les plus à risque et agir en conséquence.

Cependant, les participant·es ont rappelé la nécessité d’aller au-delà de ce système d’évaluation et de certification, décrit comme reposant essentiellement sur du déclaratif et une revue documentaire. Ce système, bien que nécessaire selon la majorité des participant·es, n’est pas suffisant pour évaluer efficacement les impacts droits humains dans l’ensemble de la chaîne de valeur. Les entreprises présentes cherchent en effet à généraliser les évaluations sur le plan opérationnel impliquant la consultation des parties prenantes potentiellement affectées, notamment dans les régions ou les secteurs à haut risque. C’est également cette nuance que les ‘investisseurs engagés’ cherchent à comprendre, car celle-ci leur permet de savoir si les différentes fonctions de l’entreprise se saisissent réellement des sujets de fond.

Autres outils visant à renforcer les pratiques dans la chaîne de valeur

Un autre défi identifié par les participant·es est celui d’équiper les différentes fonctions de l’entreprise afin qu’elles participent activement à ladémarche droits humains. Par exemple, les départements Achats, qui sont en première ligne en ce qui concerne les interactions avec les fournisseurs, ne sont pas toujours conscients de l’importance de ces enjeux et de la manière de les traiter. C’est pourquoi il est important que toutes les équipes au sein d’une organisation soient sensibilisées et/ou formées aux risques et impacts droits humains. Un soutien appuyé de la direction – tant en termes de ressources qu’en termes de communication interne – est également nécessaire. Dans ce contexte, les objectifs et priorités de l’entreprise en matière de droits humains doivent être clairement établis et ne doivent pas entrer en contradiction avec les autres objectifs de l’organisation (financiers, commerciaux, ESG, etc.) afin d’engager une vraie transformation au sein de l’organisation. Selon certain·es participant·es, ces objectifs et priorités en matière de droits humains doivent aussi être basés sur les risques sur lesquels l’entreprise a un réel pouvoir d’intervention, car dans certaines situations, la marge de manœuvre peut être limitée.

Enfin, les participant·es ont échangé sur les autres outils qu’ils·elles utilisent afin de limiter les impacts négatifs de leurs opérations sur les droits humains. Dans certains secteurs, les entreprises ont recours à la mise en place de coalitions pour promouvoir des pratiques plus durables en cas de problèmes systémiques identifiés. C’est en misant sur la collaboration avec les parties prenantes, et parfois même les concurrents, que ces entreprises espèrent avoir un impact positif significatif dans leur secteur.

Il est parfois aussi nécessaire pour les entreprises de mettre en place des avertissements ou des outils de dissuasion, pour encourager la mise en place de bonnes pratiques. Certaines entreprises utilisent par exemple les pénalités financières – associées à des indicateurs de performances établis dans les contrats – pour garantir la conformité de leurs fournisseurs. Certaines entreprises utilisent également des pénalités liées à la relation d’affaires : baisse des volumes, remise en question d’un contrat emblématique, ou non-invitation à un appel d’offres. Enfin, les entreprises peuvent encourager une forme de compétition saine entre les entités en classant le niveau de performance droits humains de chacune : la communication de ce classement aux entités peut encourager les entités à mettre en place leurs plans d’actions respectifs plus rapidement.  

Le point de vue de GoodCorporation

Avec l’adoption imminente de la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (« CS3D ») et l’application de la directive européenne sur le reporting extra-financier (« CSRD »), les entreprises devront renforcer leur démarche de vigilance et/ou remplir de nouvelles obligations pour celles qui n’étaient jusqu’ici pas concernées.

La cartographie des risques droits humains dans la chaîne de valeur est une étape majeure du devoir de vigilance. La méthodologie et l’étendue des travaux dépendront du business model de l’entreprise et de sa maturité sur le sujet. GoodCorporation est convaincu qu’il n’existe pas de modèle unique de cartographie des risques. Il existe en revanche des fondamentaux, en particulier la consultation des parties prenantes internes pertinentes pour obtenir des données reflétant la réalité du terrain et des parties prenantes externes, y compris des organisations de la société civile, pour objectiver l’analyse. Par ailleurs, une cartographie des risques ne doit pas se limiter à un instant T, mais doit être un processus d’amélioration continue. Tous les autres mécanismes tels que les audits, les évaluations d’impacts, le dialogue parties prenantes et les signalements d’alertes contribuent à enrichir cette cartographie, qui doit être régulièrement actualisée. Cet exercice est enfin essentiel pour prioriser les actions d’atténuation des risques mises en place par l’organisation, notamment les évaluations des pratiques au plan opérationnel, afin de passer d’une approche réactive à une approche proactive et structurée de la due diligence en matière des droits humains.